Aller au contenu

Graffitis - Si Les Murs de Sainte-Madeleine Pouvaient Parler

L’église Sainte-Madeleine de Besançon est remarquable à plus d’un titre et émerveille le regard avec son imposante façade. Mais elle recèle bien d’autres secrets. Des centaines de graffitis ornent ses parties inaccessibles au public : couloirs, escaliers, combles… sont recouverts de signatures, dessins, laissés là depuis 1766. Ce discret patrimoine est un témoin du passé des bisontins. Un véritable héritage que je me suis employée à faire parler. Voyons ensemble quelles histoires ces murs ont à nous conter…

1766 – Bâtisseurs

Depuis la nef, en levant les yeux au niveau de la croisée du transept, une majestueuse coupole s’offre à votre regard. À son envers, dans les combles de la toiture, cette coupole en pierre est surmontée d’une coupolette de bois, recouverte d’un enduit friable. En se frayant un passage dans la charpente de l’édifice, on peut l’approcher. Mais elle est trop fragile pour qu’on l’escalade. Il aura fallu l’examiner à l’aide d’un drone pour étudier les lettres qui la recouvrent. C’est à cet emplacement que se situent les graffitis les plus anciens. Datés de 1766, ils ont été tracés à l’occasion de la fin de la reconstruction de l’église.

L’église collégiale et paroissiale de Sainte-Madeleine fut initialement érigée entre 1041 et 1061. Elle fut remaniée à plusieurs reprises. Au 18ème siècle, son mauvais état général imposa sa destruction et la construction d’une église nouvelle pour lui succéder. C’est l’architecte comtois Nicolas Nicole qui fut choisi par les chanoines pour ce chantier, après qu’il eut fait ses preuves avec le clocher de la Cathédrale Saint-Jean.
La démolition s’étale de 1737 à avril 1746, faute de moyens financiers permettant de tenir un rythme plus soutenu. Le 17 mai 1746, la première pierre de l’église actuelle est bénie puis posée par l’archevêque Antoine-Pierre de Grammont. Artisans et ouvriers s’animent sans relâche et les travaux s’achèvent en juillet 1766.

Si les grands noms de cette réalisation sont parvenus jusqu’à nous, ceux des petites mains sont tombés dans l’oubli… jusqu’à ce que notre drone permette d’en identifier certains. La coupolette est recouverte de dizaines d’inscriptions, majoritairement tracées au 19ème siècle. Seules six datent de 1766 et présentent les patronymes suivants : Morland ; Holliez ; Claude Bourdin ; Gaulard et Courcot. Leur découverte se fait sous les regards intrigués des nombreux pigeons occupant les lieux.
Difficile d’identifier ensuite formellement ces hommes, de vies et de professions simples. Les registres paroissiaux de l’époque permettent néanmoins de formuler quelques hypothèses.

Deux baptêmes d’enfants, en 1752 et 1755, font apparaître comme père un certain Claude-
François Bourdin, “tuillier”. On trouve également un Claude-François Gaulard, qui s’est marié en 1752, dont le métier n’est pas précisé mais dont celui du père, George, est “charpentier” (le savoir-faire était souvent transmis de père en fils). Le même s’est remarié en 1770 suite au décès de son épouse, et cette fois-ci sa profession est notée comme “manouvrier”.

Des professions compatibles avec le chantier de La Madeleine.
A noter qu’en 1766, les parties supérieures du massif antérieur et des tours n’avaient pas été achevées. Elles le furent entre 1824 et 1830.

Pieux, mais pas que

Divers outils ont été utilisés dans l’enceinte de l’église pour laisser sa trace. Pieux, tiges pointues, pinceaux, crayons à papier, feutres, mais aussi fumée de bougies. Certains plafonds sont recouverts d’inscriptions (surtout des initiales) placées là par des servants de messe à l’aide des grands cierges du Maître-autel.

Le nom “Latuile” est signé au pinceau. Il n’est pas daté et partiellement recouvert de graffitis récents (2013 et 2015). Divers documents anciens montrent qu’un monsieur Latuile, horloger, demeurait rue de la Madeleine en 1894. Se sentit-il un jour d’humeur picturale ?

Si les noms et prénoms sont les plus communs, on trouve aussi quelques portraits, ainsi qu’uncvisage énigmatique gravé dans le balcon surplombant le chœur. Il jouxte la fresque de 1769 du peintre tessinois Giovanni Antonio Caldelli (actuellement masquée par une représentation de la Cène). Ce visage, vraisemblablement féminin, se découvre par des jeux de lumière, qui laissent se deviner ses traits gravés dans la paroi. Caldelli a exercé son art dans divers châteaux et lieux de culte en Europe. Il est également l’auteur des trompe-l’œil encore visibles aujourd’hui à la droite ainsi qu’à la gauche du Maître-autel.

D’autres visages ne sont pas signés, mais semblent caricaturer des personnes bien réelles. Un autre encore, est accompagné de la signature “A Blanc 18 avril 1897”. S’agit-il d’un autoportrait ? Un autre graffiti, éloigné et sans illustration, semble être de la même personne : “Blanc Albert 25 décembre 1895”.

Destin tragique

Parmi les personnes ayant laissé leur empreinte, un certain Léon Nayme revient à cinq reprises. En divers endroits, il a signé aux dates suivantes : le 1er novembre 1897 ; les 30 mai et 31 décembre 1899. D’anciens documents (base de données des Armées, journaux d’époques et registres d’état-civil de Besançon) ont montré que le pauvre homme a eu une vie pour le moins tumultueuse.

Le 25 février 1912, l’épicerie familiale qu’il tenait au 15 rue de la Madeleine se trouve en état de liquidation judiciaire. Le fonds de commerce est vendu aux enchères publiques. Comme si cela ne suffisait pas, en juillet 1914, la presse locale publie l’annonce suivante “M. Leon NAYME ne répond plus des dettes que pourrait contracter sa femme, née Jeanne Tisserant, qui a quitté le domicile conjugal” (l’union avait été célébrée en 1910). Un mois plus tard, la Première Guerre Mondiale éclate et la mobilisation générale est décrétée en France.

Léon part au front comme soldat de 2ème classe dans le 260ème régiment d’Infanterie. Il trouvera la mort le 15 août 1915 à Ammertzwiller, en Alsace. Son certificat de décès précise qu’il fut “tué à l’ennemi”. Il permet également de connaître son année de naissance : 1885. Léon avait donc 12 ans et 14 ans lorsque, d’une main innocente, il grava sur les murs de La Madeleine des traces de sa présence.

Bousbo-Cinéma

Autre patronyme débusqué sur les parois d’un couloir, “Gauley” va livrer ses secrets. Des bulletins paroissiaux du début du vingtième siècle mentionnent un Marcel Gauley, aviateur dans la Première Guerre Mondiale mais également chef-opérateur du Bousbo-Cinema.

Inauguré le 18 janvier 1914, cette création de la Section Cinéma du patronage de Sainte-Madeleine était installée au rez-de-chaussée, sur cour, du 37 de la rue Battant. Le bulletin précise : “cet appareil nécessite toute une section de dévouements : il y a notre chef-opérateur, Marcel Gauley ; nos commissaires de salle que dirige Gaston Nonotte et Camille Magnin ; nos vendeurs de billets, Gaston Hintzy, et Félix Lavier, qui ne craignent pas de passer de longs moments à la porte et au froid ; nos artistes de l’orchestre sous l’excellente direction de notre pianiste Léon Flury ou de son parfait remplaçant, Martial Bibaut, avec le concours du flûtiste Georges Sélignac, et des violonistes Calot, Franceski, Henriot. Nous n’avons pas la prétention d’établir une salle de spectacle (…) nous ne voulons pas du tout faire une entreprise et chercher à gagner de l’argent – nous avons voulu simplement faire une œuvre ! (…) Constatant que la multiplicité des cinémas dans notre ville a créé, par ses nombreux spectacles, un vrai besoin chez un grand nombre, et remarquant que tout le monde, petits et grands, riches et pauvres, courait, chaque semaine, au cinéma ; sachant parfaitement d’autre part que, si la police des mœurs n’a rien à reprendre aux films présentés dans ces salles, ceux-ci cependant laissent dans les esprits et les coeurs, par les scènes lascives qu’ils donnent, des impressions très fortes et très funestes ; connaissant enfin le désir de bien des pères et mères de famille de voir, à Besançon, un cinéma où ils puissent sans crainte conduire leurs enfants ; nous avons, après mûre réflexion, organisé cette nouvelle installation. (…) Qu’on n’attende pas de nous des spectacles hebdomadaires réguliers ; nous jouerons de temps en temps, normalement deux fois par mois”.

Les chaises étaient numérotées et une place coûtait 60 centimes pour une première et 30 centimes pour une seconde.

Mais la guerre va arracher Marcel Gauley à ses activités de projectionniste. Mobilisé dès l’été 1914, il sera rattaché au parc d’aviation de Lyon et officiera comme caporal mécanicien dans l’aviation française en Serbie dès 1915. Il réalise là “l’un des grands rêves de sa vie”, comme il l’écrivit lui-même dans une lettre adressée à la paroisse et publiée par celle-ci. Dans sa correspondance, il raconte ses missions de reconnaissance et de bombardement. Il fut décoré l’année de ses 25 ans, en 1917, par la “médaille militaire Serbe” à 25 ans.

Dates clés

Certaines inscriptions ont vocation à être commémoratives, comme par exemple celle laissée par “Boulègue PILLER”, probablement un soldat, qui écrit “souvenir de la libération septembre 1944”. On le sait, Besançon a été libérée le 8 septembre 1944. Il n’était pas rare en de telles occasions que les combattants souhaitent laisser leur marque. J’ai par exemple observé un graffiti similaire dans le donjon du Château de Vincennes, laissé là à l’occasion de la libération de Paris la même année.

Sur un autre mur, on peut lire “Louis Jacot 29 avril 1934 inauguration de l’orgue”. C’est là encore un témoignage intéressant. Le grand orgue de l’église Sainte-Madeleine a fait résonner ses tuyaux le 31 mars 1850 pour la première fois. C’était un dimanche de Pâques. Mais, en 1934, l’instrument fut remanié par le facteur dijonnais Jules Bossier. Sa traction mécanique fut remplacée par une transmission pneumatique. Une nouvelle console est construite et quelques jeux sont remplacés. Un concert inaugural a donc dû avoir lieu, une fois ces réparations achevées. Et Louis Jacot y assista. La presse locale de l’époque nous apprend qu’il était alors le directeur de la maison LIP, bien connue des bisontins. Il résidait à Bregille, dans la villa “Bellevue”. En 1934, l’organiste titulaire du grand orgue de la Madeleine était Jeanne Marguillard (1910-1993), ancienne élève du renommé Louis Vierne.

Autre souvenir, celui du “mariage de Rémi Mérillot – Juillet 1938”. La presse locale nous apprend qu’il était membre des trompes de chasse de la Bousbotte.

René Brunet et Ginette Penel 1946”, est gravé et encadré à proximité de la porte donnant accès au Trésor de La Madeleine. S’agit-il également du souvenir d’un mariage ? En un autre lieu, se découvre la phrase : “Brunet René 10 mai 1946 Transmission radio nouveau messe S’ Jeane d’arc”. Si aucune preuve de cet événement ne s’est laissée découvrir, l’inscription laisse à penser qu’une radiodiffusion d’un office religieux a bien eu lieu.

René Tournier

R Tournier” est gravé sur les parois d’un couloir situé derrière le chœur. S’agirait-il de René Tournier, né en 1899 à Rennes, et mort à Besançon en 1977 ? René Tournier était architecte des monuments historiques, Officier de la Légion d’Honneur. Il fut membre puis même Président de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Besançon. Il présida également la savante Société d’Émulation du Doubs. On lui doit la Cité Universitaire de Canot, l’école Saint-Joseph avenue Fontaine-Argent, la crypte et le monument dédié à Notre-Dame de la Libération à la Chapelle des Buis… Auteur d’ouvrages et d’articles consacrés au patrimoine architectural de la Franche-Comté, il rédigea à plusieurs reprises au sujet de Sainte-Madeleine. Voulut-il, à l’occasion d’une de ses visites, y laisser sa trace ?

D’autres personnalités pourraient en avoir fait de même. Gravée dans le plâtre, l’inscription “Junius 1er chef” nous renvoie-t-elle à Junius Gondy, horloger fabricant à Besançon et Pontarlier mais aussi politicien, frère du Maire de notre ville, conseiller municipal et également secrétaire du groupe radical-socialiste ? Mes recherches ont montré qu’il résidait au 20 rue des Frères Mercier en 1911. Il pouvait donc tout à fait fréquenter La Madeleine.

En un autre endroit, les patronymes Tutko, Balcarik et Patek jouxtent le dessin d’un trombone, daté de l’année 2010. Une petite recherche sur les réseaux sociaux montre que Jan Pátek, Pavel Balcařík et Miroslav Tutko sont trombonistes dans l’Orchestre Philharmonique d’Olomouc qui, créé en 1945, est l’un des principaux et plus anciens de la République Tchèque. La formation musicale a certainement dû donner un concert à Besançon en 2010.

Preuve d’amour

On trouve aussi des messages plus bruts, moins solennels. Héritage du quotidien des nombreux paroissiens. Dissimulé sous la rambarde en bois de l’escalier menant à l’orgue, l’amour s’affiche, mais discrètement : “Je t’aime c’est pour la vie, Témoin de deux enfants de la paroisse”.

Plus haut, et plus en vue, mais issu d’une écriture différente, s’exclame : “Je t’aime Henriette Jouchoux”.

Sur le mur opposé, le sentiment est beaucoup moins positif : “Je n’ais pas pu le faire peut être pas assez d’argent, Pourtant j’ai prier mais non, Mais souvient toi j’ai réussi à savoire un peu prier ?”.

Morts pour la France

Au cours de mon travail pour identifier les centaines de signatures ornant les murs de notre belle église, j’ai constaté que nombre d’entre elles me menaient vers des hommes ayant donné leur vie pour la France. Grâce au Petit Echo de Sainte-Madeleine (bulletin du patronage paroissial qui est paru pendant la Première Guerre Mondiale) et aux archives des Armées, j’ai pu en apprendre plus sur ces membres de la communauté chrétienne de La Madeleine qui sont partis servir sous les drapeaux.

H Ponçot 1896” pourrait correspondre à Henri Jules Ponçot qui fit ses années de catéchisme à Sainte-Madeleine. Né en 1889 à Pontailler sur Saône, il perdit la vie le 28 avril 1918 dans la Somme, près de Dury, dans l’ambulance qui l’éloignait du champ de bataille. Il était lieutenant dans le 3ème régiment de zouaves.

Crétin A 1897 à 1900”. Les fratries Crétin et Thirode étaient actives dans la paroisse et ont payé un lourd tribut au cours de la guerre. Le bulletin paroissial annonce en 1916 la mort de Jules Cretin, tué au front. C’est son camarade René Jacomme qui écrit à l’église pour déplorer la perte de ses meilleurs amis et camarades d’enfance, Jean Thirode et Jules Crétin.

La même publication, au fil des ans, annonce aussi les décès de Georges, Henri et Jean Thirode.

L’Abbé Crétin, frère de Jules, fut quant à lui “tué glorieusement au sommet du Vieil Armand le 15 octobre 1915”. Il était ambulancier dans l’AOE 37/2. La bulletin paroissial publie à cette occasion la dernière lettre que le défunt lui avait adressée l’avant-veille de son trépas.

Alexandre 1888 Mayaudon” était très certainement Charles Alexandre Mayaudon, né en 1872 à Besançon, gérant de la maison de meubles Barbier, domicilié (selon les registres d’état civil) au 52 de la rue Battant en 1895. Il s’unit en 1895 à Philomène Aidrey et fut exempté en 1893 de service militaire pour cause d’atrophie du bras droit. Il fut néanmoins reconnu apte au service auxiliaire (“pour cause d’hémiplégie ancienne”) par le conseil de révision de la Haute Marne en 1914. Il servit sous la bannière de la 7ème section de secrétaires d’Etat-Major à partir du mois d’août 1915. Il intégra ensuite le 171ème Régiment d’Infanterie, puis, l’année suivante, le 5ème Régiment d’Artillerie de campagne.

H Rennaud 1904” était très certainement Henri Rennaud, mobilisé à la caserne des Tourelles à Paris dans le 4ème régiment de zouaves, il raconte être allé prier au Sacré-Coeur. Il n’apparaît pas dans les bases de données de soldats morts pour la France et a donc dû rentrer à Besançon, tout comme “Valfrey” qui fut aumônier sur le front.

Plus loin, une inscription au crayon à papier indique “Mantoz réserviste au 5ème d’artillerie 1888”. Son auteur était-il parent avec Louis Octave Mantoz, né en 1893 dans le Jura et mort pour la France le 30 décembre 1915 dans le ravin de Faux Sihl en Alsace ?

Curiosités

Dans l’escalier menant au grand orgue, plusieurs signatures de menuisiers, datées de 1945, se suivent : “R. Chauvin J. Viennet M. Pouillet 43 45 menuiserie souvenir” et “Sillanfest Georges avec Paul Orfeuil menuisier 45”. S’agissait-il simplement d’habitants du quartier, ou bien de professionnels du bois intervenus dans l’église, qui a pu être abîmée par les combats de la libération de Besançon ? Le pont Battant, tout proche, avait été dynamité en 1944. Cela impacta-t-il l’église ?

Autre inscription énigmatique, “A bas la cabotte”. Émane-t-elle de vignerons las de leurs conditions quotidiennes ? Une cabotte est en effet le mot bourguignon désignant ce que l’on appelle ici une caborde, à savoir une ancienne cabane de vigneron en pierres sèches. Il en reste certaines à Velotte et à Chaudanne. L’inscription n’est pas récente (à priori début du 19ème siècle) et, à cette époque là, la culture de la vigne était encore l’une des activités principales des habitants du quartier Battant.

Il est étrange de constater que, parmi les centaines de signatures laissées sur les murs de l’édifice religieux, une seule est féminine : “Elvire Devaux” a signé en deux endroits, et ce prénom est le seul féminin relevé sur place.

A noter également qu’une seule inscription utilise le calendrier républicain, mais elle est malheureusement partiellement illisible : “Le 19 thermidor an 11 nous avons montés un ….”.

Mioches en bérets blancs

Autres signatures, celles d’”Auguste Schmitt”, “Robert Nonnotte” et “Roger Schmitt”, assorties des dates “1920-21”. Le Petit Echo de Sainte-Madeleine nous montre que ces trois-là étaient amis depuis l’enfance. En 1914, ils participaient à l’harmonie “La Lyre des vrais Bousbots” à la clarinette. Ils firent leur première communion solennelle ensemble, le 1er mai 1916. Ils “resteront fidèles à leurs résolutions et feront toujours l’honneur de la paroisse”, note le rédacteur.

Une anecdote survenue le 12 juillet 1914 les met également à l’honneur, lorsque 18 petits chanteurs de Sainte-Madeleine se sont rendus dans l’église d’Evillers pour “unir leurs voix à celle de l’abbé Baud” en chantant “la messe de Perruchot et le quid retribuam”. Le départ se fait en train, depuis la gare de la Mouillère.

Ils sont à peine assis que Nini se met à raconter des histoires, qui ont le don de fendre jusqu’aux oreilles les bouches de ses camarades”. Cinq d’entre eux cueillent des cerises sur le chemin, ce qui leur vaudra un cinglant “au pain sec et à l’eau ce midi !”. “Les 5 punis regardent les plats auxquels ils ne peuvent toucher. C’est un vrai supplice de Tantale. La consigne est sévère, mais… tant mieux, car la leçon portera”.

Le tour de chant terminé, il reste trois heures à occuper avant le souper. “Si on allait à Levier, propose Schmitt, avec un fort accent parisien.
– Oui, allons-y, crie Nonnotte. (…) 10 kilomètres à pied : c’est beaucoup ! mais en 2 heures c’est fait ! On chanta pour passer le temps”. Le doyen de la cure de Levier fait préparer des tables pour le dîner. Les “mioches en bérets blancs” allaient repartir lorsqu’un orage épouvantable éclate et les force à coucher sur place. Ils ne rentreront à Besançon que le lendemain, après une nouvelle marche de plusieurs heures.

Hommes de Foi

Les paroissiens ne sont pas les seuls à avoir gravé leur passage dans les couloirs de La Madeleine, les célébrants aussi. Le patronyme “Baverey” renvoie sans aucun doute à l’Abbé Baverey qui officia de nombreuses années dans la région. En 1915, il fut professeur à l’institution Saint-Jean de Besançon.

Mobilisé pendant la Première Guerre Mondiale, il fut blessé par un éclat d’obus dans la Meuse, aux Eparges, en 1915. Sa convalescence se déroula à Marseille, d’après un bulletin paroissial de Baume-Les-Dames. 1930 le vit être nommé vicaire de Vesoul. En 1934, il devint vicaire de Remiremont. 1939 le voit devenir curé de la paroisse du Sacré-Coeur de Vesoul ainsi que chapelain de la Cathédrale de Besançon.

Un curieux message, partiellement illisible et non daté, mais probablement tracé au début du XXème siècle, intime “Défense de appeler ……. oeil au Père Jeudy”. Plus imposant, un sorte de cartouche au nom de l’Abbé Jacquin “Archevêque de Baltimore” s’expose bien visible sur un mur. Impossible d’établir un lien avec Baltimore, ses archevêques étaient tous anglo-saxons.

Mais des recherches approfondies permettent d’en savoir plus au sujet de l’abbé (à ne pas confondre avec son homonyme contemporain de Consolation-Maisonnettes). Né en 1875, il fut nommé vicaire de Sainte-Madeleine après son ordination. Il resta 9 ans dans la paroisse, et s’y investit beaucoup. Il fut ensuite nommé curé à Chancey, où il exerça pendant 17 ans son ministère sacerdotal. En 1926, il fut nommé curé-doyen de Port-sur-Saône ; et en 1936, vicaire économe et curé-doyen du Russey. Il le resta jusqu’en 1958.

La presse bisontine relate la célébration, en 1910, de la fête patronale de Sainte-Madeleine (la St-Joseph), au rythme de la fanfare des “vrais Bousbots”. L’abbé Jacquin y “donna le sermon (…) avec sa parole chaude et vibrante, il donna quelques conseils aux Vrais Bousbots les engageants à poursuivre avec persévérance la route qu’ils s’étaient tracée : procurer par tous les moyens possibles le bien matériel et moral des habitants du quartier”.

L’abbé Eugène-Armand Jacquin était surnommé “le ressuscité de Chancey” dans le Petit Echo de Sainte-Madeleine. Ce qualificatif provient, je pense, d’un fait divers survenu en mai 1914. Le Petit Comtois d’alors consacre un filet à l’accident survenu “au curé de Chancey atteint au bas-ventre par une ruade de cheval”. Dix jours plus tard, l’hebdomadaire “La Franche-Comté à Paris” annonce qu’ “une péritonite s’étant déclarée, le blessé a succombé lundi matin. Il était originaire de Boujailles”. Or, des archives postérieures montrent bien que l’Abbé Jacquin n’est pas mort. Son curieux pseudonyme doit venir de là.

Comme de nombreux autres, E. Jacquin est mobilisé pendant la Première Guerre Mondiale. Il sert la France comme brancardier. L’Echo de Sainte-Madeleine publie une missive qu’il lui a adressée depuis le camp d’Avord dans le Cher, le 31 août 1915 : “Nous attendons le moment de partir sur le front et en attendant nous faisons des exercices de relève des blessés (…) nous logeons sous des tentes (…) au camp se trouve une chapelle où nous pouvons dire la sainte messe à condition de se lever de bonne heure, 2 ou 3 heures”. La publication “Dieu et Patrie” note qu’il était brancardier divisionnaire dans l’AOE 37/2 et qu’à ce titre, il fut cité à l’ordre du régiment en 1917 et qu’il obtint une seconde citation en 1919. Puis, lors de sa nomination au Russey, La République de l’Est indique qu’il “possède à un degré très élevé nombre de qualités, surtout celle de musicien. En effet, durant tout son grand séminaire, c’est lui qui tint les orgues”. Il s’éteindra en 1959.

Noms d’oiseaux

Enfin, les visiteurs de l’église Sainte-Madeleine se sont montrés plutôt sages. Pas de grivoiseries, ni d’insultes outrancières, n’ornent ses murs. Les quolibets se limitent à quelques noms d’animaux : “Âne de Rodary” et “Rodary le plus bête animal que la terre ait jamais porté” (on ne sait de qui il s’agit, mais pauvre Rodary).

A noter aussi, une ode pas forcément flatteuse à “Girard dit Souris dit le con”.

Et, pour terminer, un liminaire “les ânes écrivent partout”, perdu au milieu de dizaines d’autres écrits.

Alors oui, les graffitis d’aujourd’hui sont souvent disgracieux et jugés sans intérêt. Mais ceux d’autrefois nous éclairent sur le passé, comme ici, où ils nous font revivre plusieurs siècles d’histoire(s). Que penseront les historiens du futur de nos gribouillis actuels ?

Texte et photographies : Orianne VATIN
Drone : Antoine PAGANONI







 

Abonnez-vous à Besançon Historique

Saisissez votre adresse e-mail pour vous abonner à ce blog et recevoir une notification de chaque nouvel article par e-mail.